Episode 18 : Être "éligible" ou ne pas être... du tout
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Je savais bien quand j’ai fêté mes 26 ans qu’il n’y avait pas vraiment de quoi se réjouir… mais à quel point je ne le mesurais pourtant pas. C’est l’âge fatidique à partir duquel on a intérêt à avoir une petite vie bien établie et à être sur le bon chemin car passé ce seuil fatidique, on ne peut plus faire grand chose pour vous. Vais-je devoir subir toute ma vie les conséquences d’un mauvais choix sans rien pouvoir y changer ?
Ce matin, je suis allée comme prévu à la réunion d’information organisée par le GRETA au lycée hôtelier sur les CAP Cuisine et Pâtisserie. Je m’installe donc dans un grand amphithéâtre moderne pour ne pas dire neuf, à l’image de ce lycée tout entier, imposant et rutilant en dépit de ses 20 ans d’existence, déjà. Je constate avec un certain regret égoïste que l’amphithéâtre est déjà bien rempli : zut, ça fait autant de candidats pour un nombre de places réduit. Puis la réunion commence.
Le responsable de la formation pour adultes prend la parole et, avec un air contrit, préfère commencer par annoncer les mauvaises nouvelles. Le nombre de places cette année devrait s’élever à 28, soit 14 en cuisine et 14 en pâtisserie. Jusque là, pas de mauvaise surprise, je le savais déjà plus ou moins. La suite est beaucoup plus inquiétante : il présente le programme régional de formation, dont ce CAP fait partie, et annonce que la moitié de l’effectif est réservée au public prioritaire ciblé par le Conseil Régional, soit les jeunes de moins de 25 ans, sans qualifications. Bon, c’est sur c’est pas drôle, mais il reste encore 7 places, qui reviennent normalement de droit aux demandeurs d’emploi et aux congés individuels de formation. Et c’est là que tombe LA nouvelle du jour : il paraîtrait que depuis avril 2006 les ASSEDIC ne prennent plus aucune action de formation individuelle en charge.
Alors là effectivement je commence à voir rouge, d’autant plus que l’ANPE est parfaitement au courant de mon projet de reconversion depuis un moment et qu’il me semble que me dire ce genre de chose relève de leur travail. Les seuls à pouvoir tirer leur épingle du jeu sont les RMIstes qui peuvent déposer un dossier auprès du Conseil Général qui lui a choisi d’aider cette fange-ci des gens dans la merde. Une fois le ton donné, je sens bien que dans la salle, tout le monde a fait « arrêt sur image » sur cet aspect des choses et se fout pas mal du reste. En effet, à quoi bon discuter d’une formation à laquelle on n’est même plus sûr de pouvoir accéder ? Je me retourne et évalue la foule : je crains que les gens présents ici soient peu à avoir moins de 25 ans. En même temps c’est logique, on est là pour intégrer une formation « pour adultes », pas pour « jeunes sortis de la scolarité. », la république française a un truc merveilleux pour ça qui s’appelle « l’école » ; quand on en sort qu’est-ce qui empêche d’y retourner ? Mais je suppose que l’on doit une fois de plus l’idée merveilleuse d’intégrer les jeunes sortis de la scolarité aux formations pour adultes du GRETA à des histoires de sous… On croit faire d’une pierre deux coups alors qu’on exclut une bonne partie du public à qui sont initialement destinées ces formations.
Que l’on veuille aider les jeunes en difficulté d’insertion, je n’y vois bien entendu aucun inconvénient, mais qu’on en ait une vision aussi réductrice et exclusive me pose un problème. Il devrait être rentré dans les esprits que les jeunes en difficulté aujourd’hui ne sont pas seulement ceux qui n’ont pas de qualifications ! Le mouvement des stagiaires de Génération Précaire me semble en être l’exemple le plus flagrant : diplômés, compétents, une situation instable, pas de véritable statut, ni de salaire et ce souvent à 25 ans largement passés ! De plus, fait inadmissible qui n’ a pas manqué d’énerver passablement l’auditoire : l’année dernière sur les 14 élèves en CAP pâtisserie, 7, soit la moitié de l’effectif, ont déclaré forfait en cours d’année !! Et savez-vous ce qu’il advient des financements dont bénéficiaient ces personnes ? Et bien ils sont tout bonnement perdus !!! C’est une honte… Manifestement on regarde l’âge et la situation scolaire des candidats avant de mesurer la profondeur de leur motivation, c’est déplorable.
D’ailleurs, la salle s’échauffe quelque peu et quelques personnes présentes ne manquent pas de dénoncer avec l’énergie du désespoir cette nouvelle injustice. Le responsable du GRETA a l’air sincèrement ennuyé et déplore cette décision de l’UNEDIC, ce qui nous console à peine et nous fait une belle jambe. Moi je ne dis rien, je suis déjà en train de réfléchir à toute vitesse. Il faut trouver une solution. Ca ne va pas se passer comme ça. Ca ne PEUT pas se passer comme ça. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien, je ne suis pas allée travailler gratuitement le soir et le week-end en plus de mon boulot actuel pour m’entendre dire que je dois attendre d’être au chômage puis au RMI pour pouvoir prétendre à quelque chose. Autre précision utile : il est vain de prétendre à la formation si l’on se propose de la financer soi-même, le lycée ne l’accepte pas, principalement pour des questions d’éthique, facilement compréhensibles.
Ce pays est tout de même hallucinant : il fustige l’assistanat tout en l’encourageant de fait !! Je suis en situation précaire, je le sais, je mets tout en œuvre pour éviter de me retrouver une fois de plus au chômage, de sombrer dans l’inutilité sociale et de vivre aux crochets de la société et on me répond : attendez d’être au chômage puis au RMI puis revenez nous voir, on fera PEUT-ÊTRE quelque chose pour vous !!!! Je ne suis ni une économiste ni une grande gestionnaire mais il me semble qu’il coûterait moins cher à la société de me payer une formation de 8 mois à 1100 € afin d’intégrer une profession où le chômage n’existe pas, plutôt que de continuer à me payer au SMIC jusqu’à la fin de mon contrat (c’est l’Etat qui me paye par l’intermédiaire du CNASEA), puis d’enchaîner avec les ASSEDIC pendant des mois et des mois, non ???
Au bout d’une heure, la réunion s’achève et nous sommes invités à aller nous inscrire pour les entretiens de motivation. Pour le CAP Cuisine ce sera vendredi 7 juillet, comme prévu. Seulement je ne suis pas prête d’avoir les résultats : à cause des questions de prises en charge financière de la formation aucune réponse définitive ne pourra être donnée avant début septembre, ce qui me laisse une courte marge pour démissionner et commencer les cours début octobre, si j’ai trouvé une solution entre-temps au souci du financement, bien entendu. Je suis donc convoquée vendredi à 16h30. Je repars avec mon bout de papier mais j’en ai gros sur le cœur. En repassant dans l’amphithéâtre, je vois une des personnes intervenantes, travaillant à la Mission Locale. J’en profite pour demander confirmation de ce dont je me doutais déjà : oui, je suis trop vieille et non, je ne suis pas éligible. S’entendre dire à 26 ans qu’on est « trop vieille »… Ce pays marche vraiment sur la tête.
Seule lueur d’espoir : me renseigner sur les contrats de professionnalisation, ouverts aussi bien aux jeunes de moins de 25 ans qu’aux adultes demandeurs d’emploi. Il s’agit d’un système d’alternance entre école et entreprise que le lycée hôtelier assure. Il me resterait alors à trouver un employeur… ce qui risque de s’avérer tout de même ardu dans la mesure où l’employeur qui embauche en contrat de professionnalisation une personne de plus de 25 ans est obligé de le rémunérer au minimum au SMIC. Les plus jeunes revenant moins cher, je risque ENCORE de me heurter à leur concurrence…
La semaine va donc être bien remplie :
- Engueuler l’ANPE
- Me renseigner sur le contrat de professionnalisation
- Engueuler l’ANPE
- Avoir confirmation auprès des ASSEDIC de leur non-prise en charge du coût de la formation
- Engueuler l’ANPE
- Commencer éventuellement à prospecter pour trouver un employeur si le contrat de professionnalisation d’avère une solution intéressante et réalisable